Point de vue émis lors de l’audition du Front commun syndical policier par La Commision spéciale des pensions
28/03/2017
SNPS - CSC - CGSP - SLFP
1. Propos introductif
Le 30 septembre 1982, la première victime des « tueurs du Brabant » tombait. Il s’agissait d’un policier communal, agent de quartier à Nivelles.
Ce fait historique démontre trois choses qui sont ESSENTIELLES pour les organisations syndicales du secteur policier :
- Le métier de policier est dangereux ;
- Le métier de policier est spécifique (en bien des points) ;
- Aucun policier n’est exclu de cette dangerosité et de ces spécificités.
Dangereux ? Nous allons mettre en exergue quelques chiffres qui devraient vous convaincre s’il le fallait encore.
Spécifique ? Le métier de policier l’est par bien des aspects que nous allons développer dans la suite de ce propos.
Aucun policier ne doit être exclu ? A nos yeux, c’est plus qu’une évidence, c’est une exigence. Nous allons vous faire adhérer à notre point de vue.
Notre objectif est donc de convaincre de l’idée que le métier de policier est un métier lourd et pénible, mais aussi de nous inquiéter des conséquences d’une telle reconnaissance, considérant qu’elles devront être adaptées à ces spécificités dès lors reconnues du métier.
Pour développer de manière utile aux membres du CNP, nous nous appuyons sur le contenu de deux documents émis : CNP 2016-0331(bis) rapportant les travaux de la commission « pénibilité » ; CNP 2016-0312 rapportant le résultat de l’étude de la problématique des métiers lourds dans la Fonction publique.
2. Les sources de notre propos
2.1. Le contenu du rapport 331(bis)
Nous lisons la référence à l’accord de gouvernement :
« L’accord du Gouvernement du 9 octobre 2014 contient en sa partie II – Réforme des Pensions, un point 2.4 relatif aux « métiers lourds ». Ce point prévoit que « le gouvernement prendra, en concertation avec les partenaires sociaux, des dispositions spécifiques en matière de pension pour des métiers lourds dans le secteur privé (travailleurs salariés et indépendants) et dans le secteur public sur la base des principes suivants :
- Des critères objectifs seront définis et serviront de base à l’établissement d’une liste révisable reprenant les métiers lourds et les tantièmes préférentiels ;
- Des modalités plus favorables pour les conditions de carrière pour la pension (anticipée) et pour le calcul des pensions seront possibles » ;
Dans le corps du texte de ce rapport 331(bis), nous lisons par ailleurs :
« L’approche transversale de la pénibilité implique de prendre en compte celle-ci de manière cohérente dans les trois régimes (secteur public, travailleurs salariés et indépendants) tout en respectant les spécificités propres à chacun de ceux-ci (c'est-à- dire la nature de l’activité et le contexte dans lequel celle-ci s’est exercée). Ces spécificités sont liées, notamment, aux circonstances historiques dans lesquelles ces régimes ont été créés et ont évolué, à la manière dont ils sont financés, ainsi qu’au contenu des droits qui y sont prévus. La réflexion sur la cohérence d’ensemble de la réforme doit inclure notamment la question des carrières mixtes ainsi que les engagements pris par le Gouvernement au niveau du secteur public.».
« Les membres représentant les organisations de travailleurs optent pour une approche collective et ont, en ce sens, déposé une proposition détaillée relative à une liste de critères de pénibilité répartis au sein des 4 catégories suivantes :
- La pénibilité des circonstances de travail en raison de contraintes physiques ;
- La pénibilité de l’organisation du travail ;
- La pénibilité en raison des risques de sécurité élevés ;
- La pénibilité de nature mentale ou émotionnelle.» ;
« Les représentants du Gouvernement fédéral ont pour leur part marqué leur accord pour poursuivre les discussions sur les 4 catégories de critères susmentionnés. Ils ont également indiqué que la mise en œuvre des critères interviendra dans une troisième phase, lorsque les enveloppes budgétaires disponibles auront été déterminées par le Gouvernement (en phase 2). » ;
« … il s’agit d’une exception qui concerne un groupe bien déterminé de travailleurs, pour lesquels les facteurs de pénibilité pèsent objectivement si lourdement sur leur carrière qu’une exception peut se justifier dans leur régime de pension ; … ».
2.2. Le contenu du rapport 312
« À titre de précision, la Commission souligne que la notion de « fonction pénible » doit pouvoir être objectivée à l’aide de faits qui peuvent être observés et constatés de façon empirique. En outre, elle doit également être mesurable afin qu’un enregistrement garantisse de la définir, pour les personnes concernées, de manière équilibrée, proportionnelle et sûre du point de vue juridique. » ;
« Sans préjudice de l’objectif de déterminer des critères objectivables et mesurables, les représentants des organisations des travailleurs du secteur public estiment que la définition de la notion de « fonction pénible » ne peut pas être trop stricte, étant donné que la pénibilité du travail ou des tâches dépend d’un ensemble de facteurs, dont la charge de travail psychosociale reconnue scientifiquement et reprise expressément pour cette raison dans la réglementation du bien-être des travailleurs. » ;
A propos du critère 2) déterminé par la commission secteur public (Les conditions de travail contraignantes suite à des inconvénients physiques au niveau de l’environnement de travail ou de la charge physique) « Un environnement de travail agressif ou dangereux entraînant une exposition à des agents physiques, biologiques et chimiques comme
des conditions météorologiques défavorables, grands écarts de température (exposition à la chaleur/au froid), environnements hyperbares, bruit, vibrations, éclairage artificiel, problèmes hygiéniques et d’intimité personnelle ou exposition à des substances toxiques, radiologiques ou radioactives. » ;
« Ainsi, elle constate que des modifications apportées aux technologies et aux conditions de travail peuvent faire que les métiers qui, au cours d’une période donnée, présentent des caractéristiques qui en font objectivement des « fonctions pénibles » (parce qu’ils sont physiquement éprouvants, par exemple) peuvent ne plus présenter ces caractéristiques ultérieurement, ou inversement. Ainsi, la notion de « fonctions pénibles » peut par exemple aussi évoluer grâce à une politique préventive délibérée en matière d’organisation du travail, telle que préconisée à la section précédente.» ;
« Les membres représentant les organisations de travailleurs du secteur public estiment qu’une reconnaissance en tant que « fonction pénible », et ce, conformément aux critères et à la procédure susmentionnés, doit pouvoir conduire à des modalités plus avantageuses pour les conditions de carrière concernant la retraite (anticipée) et le calcul de la pension.
Ils considèrent qu’il faut se baser dans ce cadre sur le mécanisme actuel des tantièmes préférentiels et du coefficient de majoration. Dans cette optique, ils proposent de développer, sur la base de ce mécanisme, une formule concrète qui permettrait de partir à la retraite de manière anticipée suite à la reconnaissance d’un métier comme
« pénible ». Lors de l’élaboration de cette formule, il faudra se baser, pour le calcul de la pension, sur le système existant des tantièmes préférentiels. S’agissant de la constatation de la durée de carrière requise, les années de service auxquelles s’applique une fraction de carrière plus avantageuse doivent peser proportionnellement plus lourd (poids) en les multipliant par un coefficient de majoration. » ;
« Comme mesure transitoire pour le calcul de la pension, la Commission estime que les années de service prestées avant la date d’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation en matière de pénibilité doivent être prises en considération, et ce, sur la base des tantièmes préférentiels qui étaient en vigueur conformément à l’ancienne réglementation.
… Les tantièmes préférentiels appliqués autrefois restent d’application pour ces années de service.
Selon ces mêmes représentants, le coefficient de majoration de la carrière, applicable aux pensions qui prennent cours après la date d’entrée en vigueur du nouveau système, serait fixé à 1, moyennant l’adoption de dispositions transitoires qui doivent être examinées dans le cadre de la concertation sociale. ».
3. La pénibilité en raison des risques de sécurité élevés : policier, métier dangereux
Si les chiffres repris ci-dessous datent un peu, il faut déplorer le fait qu’ils sont encore bien d’actualité sans avoir diminué, bien au contraire.
Un fait s’impose : être détenteur de la force attire la violence à soi. Etre policier, c’est consentir la réalité de ce fait. Et ne perdons pas de vue que cet état de dangerosité s’étend collatéralement aux membres de la famille qui peuvent être soumis à des actes de vengeance. Si le premier élément de ce fait est déjà, en soi, lourd à porter ; le second élément participe clairement d’une augmentation de la charge psycho-sociale (voyez en 4.5. plus bas).
Ainsi, nous devons dénombrer (et les chiffres mentionnés concernent le secteur policier) :
1.1. 5.2691 accidents du travail (AT) soit :
- 9,5 % de tous les AT annuels pour ;
- 3 % environ de travailleurs ;
- 8 %2 d’augmentation annuelle des accidents du travail ET des jours d’absence consécutifs à un AT pour la police fédérale (et par extension intellectuelle pour la police intégrée)
1.2. 7.4603 faits de violence par tiers répertoriés dans la banque de données générale policière, dont :
- 6 homicides ;
- 6.392 agressions verbales/intimidations/menaces ;
- 3 % d’augmentation annuelle pour les faits de violence par tiers ;
- 67 %4 des agressions verbales/intimidations/menaces ne sont pas portées en procès-verbal.
Si la dangerosité du métier de policier est l’élément majeur de notre discours visant à faire admettre la nécessité de la classification du métier de policier dans les « métiers lourds », ce n’est pas le seul.
4. La pénibilité de nature mentale ou émotionnelle ; La pénibilité de
l’organisation du travail ; La pénibilité des circonstances de travail en raison de contraintes physiques : policier, métier emportant bien des spécificités5
4.1. Statut professionnel
a. Pouvoir régalien – Par cette nature précise, le service policier à la population – sous toutes ses diverses facettes (intervention, accueil, proximité, enquête – appuis spécialisés de diverses formes) - ne peut diminuer en aucun cas. Et nous constatons depuis une dizaine d’années que tel est pourtant le cas. Les sources de cette diminution en quantité et en qualité du service policier à la population sont diverses et concomitantes : carence en personnel causée par des mesures exagérées d’économie ; diminution de matériel ; perte d’attrait pour les incorporations ; … Les conséquences de la reconnaissance seraient un élément de rétablissement de cet état de pouvoir régalien ;
b. Détenteur de la force – Comme dit plus haut, être détenteur de la force légale, cela ne va pas sans risque pour soi-même puisque cela amène de la résistance et une possible violence qui peut être mortelle ;
c. Fonction exemple – C’est une exigence de la fonction qui implique une auto-surveillance de tous les instants, elle-même génératrice d’une charge psycho-sociale non négligeable. Le secteur policier dispose d’une loi sui generis très contraignante et très étoffée qui vient s’accoler au droit commun pénal : il n’est pas rare d’être démis de sa fonction sans pour autant avoir été frappé d’une sanction pénale ;
d. Déontologie – idem. Le code de déontologie, ce sont seize pages du Moniteur Belge déclinant toutes les obligations déontologiques des policiers, avec de constants renvois à la loi disciplinaire sui generis ;
Pour les points a. jusque d. :
Le policier, détenteur de la « Force Publique », se différencie, par ce titre, des autres travailleurs. Il est donc tenu à pouvoir répondre en tout temps à toute sollicitation, tenu d’y répondre qualitativement, dans les plus brefs délais, tenu de rendre compte, au risque d’être « sanctionné » par les « partenaires externes » ou « clients » au travers de plaintes de tout ordre, ou par sa hiérarchie. Il a une fonction d’exemple au sein de la Société. Dès lors, le policier se doit de se former régulièrement et de maintenir un niveau d’excellence élevée (ex : formation continuée fonctionnelle, formations maîtrises de la violence avec ou sans arme à feu, etc…). Ces obligations/contraintes, bien que louables, coulées notamment dans les principes du « Community Policing »6 depuis la réforme des polices, ont immanquablement placé le policier « sous pression », tant en terme de prestations que de justifications.
4.2. Organisation du Temps de Travail
e. Pauses irrégulières ;
f. Gardes ;
g. Durant les journées = disponibilité 100 % ;
h. Carence en personnel (+ de 10 % généralisée avec des pics à 30 %) - Le manque de moyen (structurel) en personnel ne fait qu’accroitre ce sentiment d’impuissance et de fatalité : les équipes tournent à plein régime, les temps de repos sont réduits au strict minimum, la charge de travail augmente également de facto. Ce point précis « carence en personnel » revient régulièrement dans les différents aspects évoqués en ce point 4. dès lors qu’il les influence négativement ;
Pour ces points e. jusque g. (qu’il faut lier pour partie avec les commentaires du titre 4.6.) :
Au sein de la police intégrée, afin d’assurer ses missions 24h/24 sans interruption, plusieurs équipes de deux policiers sont constituées afin de travailler en pause. En général, les tranches-horaires se répartissent en matinée (ex : 6-13), l’après-midi (ex : 13-20) et la nuit (ex : 20-6). Ce régime de travail, planifié, est donc récurrent.
Au-delà du système « contactable et rappelable » dûment structuré, il est excessivement courant que des collègues inscrits en repos reçoivent un appel visant à leur demander l’effort de rompre leur repos pour venir travailler. Cette forme de rappel n’existe pas dans le droit statutaire mais existe bien dans la réalité de tous les jours.
Les normes statutaires de prestations journalières sont de 07h36 (minimum), avec un intervalle de minimum 11 heures entre deux services. Toutes ces normes sont soumises à une possible dérogation7. Dans les faits, les normes de prestations journalières sont largement dépassées (en témoigne le volume des enveloppes relatives aux indemnités des inconvénients heures supplémentaires notamment) et pour cause : une équipe de policiers ne pourrait ignorer un appel arrivant en fin de pause, au prétexte que la norme journalière est atteinte. Il y a là donc bien un devoir, une obligation très contraignante pour le policier qui, in fine, connait donc toujours l’heure du début de son service, jamais la fin. A ceci, nous devons ajouter la disponibilité de plus en plus grande demandée (ex : après une journée de travail, l’obligation, dans certaines conditions, de rester « contactable » et/ou « rappelable » au risque de voir sa journée se prolonger, sans aucune perspective de fin de service déterminé) afin de combler le manque de moyens et d’assurer la prestation d’horaires irréguliers/décalés/sans fin de service garanti.
4.3. Organisation du travail
i. L’organisation du travail s’articule en fonctionnalités décrites dans la Loi sur la Police Intégrée – intervention, accueil, quartier, recherche, … - mais souvent et régulièrement « généralisé » (par le fait du 4.2). Ainsi, des policiers dans la fonctionnalité « agents de quartier » montent régulièrement en « patrouille de pointe » [ou autre vocable] pour assurer des permanences mobiles, tout simplement, … En effet, aucun plan de carrière, aucune trajectoire prédéfinie n’existe. Par conséquent, une fois sorti de sa formation de base, le policier effectue ses choix de carrière selon ses aspirations individuelles. Les fonctionnalités de base que l’on retrouve au sein de zones de police et, partiellement, au niveau de la police fédérale sont donc accessibles à tout moment dans la carrière du policier. Cependant, notons l’élément très important qu’il n’y a pas, voire très très peu de possibilité/flexibilité pour « recaser » le policier dans un autre emploi/fonction. Dans les accords du 15/05/2015 portant un statut transitoire en matière de pensions pour les policiers, il est prévu un dispositif de glissement en fonction « adaptée » qui n’existe toujours pas et dont il est fort à craindre qu’il ne verra JAMAIS le jour. Ce point est à mettre en lien avec le titre 8. plus bas ;
j. Carence en personnel – Avec pour conséquence, par exemple, des changements inattendus de service à la dernière minute ;
k. Autonomie ;
4.4. Apprentissage et formation
l. Manipulations d’armes, en tant que telles génératrices de stress, d’autant qu’elles sont trop peu nombreuses au fil de la carrière. Et pourtant, ces sessions appelées GPI48 sont obligatoires et objet d’une évaluation avec la possibilité d’un retrait d’arme ;
m. Exercices de la maîtrise de la violence trop peu nombreux voire presque inexistants du fait du manque de capacité d’encadrement, du manque de structures, du manque de temps (sport de combat, self défense, …) ;
n. Carence en personnel (emportant comme conséquences : manque de mentorship, carence en coaching ; …) ;
o. Vide total en matière de formations sportives continuées dignes de ce nom. Il n’existe même pas – ou rarement et surtout sous forme d’initiatives locales de chefs de Corps plus conscients que les autres de cette nécessité absolue d’exercices physiques réguliers – d’incitants à la pratique du sport dans la vie privée, et bon nombre de policiers entretiennent leur condition physique avec les deniers familiaux ;
4.5. Facteurs de risques psycho-sociaux
p. Constats pénibles (suicides, violences [sexuelles] intrafamiliales, morts suspects, morts accidentelles d’enfant/conditions difficiles, …) ;
q. 20 suicides/an8, soit le double de la « norme » nationale et le double de la « norme » d’une institution comparable (Défense) ;
r. Carence en personnel – Pour ce point précis, la carence en personnel a pour effet que la cellule chargé d’assister les collègues en stress compte
… une vingtaine de personnes pour plus de 50.000 travailleurs dont 41.000 policiers ;
Pour ces points q. et r. :
Plus sérieusement, le policier (individu) se voit journellement confronté à des situations conflictuelles de toute nature et/ou à la misère du monde : violences verbales, physiques, intrafamiliales, délits sexuels, crimes, accidents de la route, etc…. qu’elle que soit la fonction exercée par celui-ci. A la longue, difficile pour le policier de faire (complètement) abstraction de tout ceci et nul ne peut ignorer « l’imprégnation » psychologique qui en découle : ceci affecterait tout individu normalement constitué, le policier à raison. Une véritable usure psychologique s’installe.
Tous ces éléments, particuliers au policier, amènent une terrible charge psycho-sociale, réel fléau, difficilement voire nullement maîtrisée par les
lignes hiérarchiques. Elle pèse excessivement lourd dans la balance. Toutes les analyses de risques faites en la matière le démontrent clairement
: la charge psychosociale est un réel fardeau et très peu de mesures de prévention parviennent à la juguler, même un tant soit peu. Pour rappel, et à ce titre, la législation récente d’avril 2014 portant sur la prévention (contraignante) des risques psychosociaux9 ne fait que renforcer notre réflexion : le législateur a bien compris l’enjeu (à venir) qu’il y avait à devoir gérer ce type de risque et à placer l’employeur devant ses responsabilités.
4.6. Santé
s. Espérance de vie : 72 ans10 ;
t. Assistance en défaut (voir 4.2., 4.3., 4.5., 4.7. & 4.11.) ;
u. Carence en personnel – Par les conséquences que ce problème représente pour les matières 4.1. à 4.5., la santé s’en trouve fortement affectée ;
Pour les points s. et t. (mis en corrélation avec le titre 4.2 :
Le policier est amené à travailler dans n’importe quelle condition climatique, à n’importe quel moment (travail de nuit, horaire décalé = sommeil perturbé, prise de repas difficile, voire impossible, etc…). A long terme, nul ne peut ignorer les conséquences sur la santé de ce travailleur. Des études épidémiologiques sur de larges populations ont mis en évidence une corrélation entre le travail posté et l’incidence de troubles du sommeil, de graves maladies, d’accident de travail ou de circulation, de perturbations des fonctions biologiques. Plus largement, en Europe, 20% de la force de travail est contrainte à des horaires de travail irréguliers. Jusqu’à 70% des travailleurs se plaignent de difficultés, croissantes avec l’âge, d’adaptation à ces changements d’horaires11.
4.7. Sécurité
v. Équipement - Le manque de moyen matériel participe, lui aussi, à l’accroissement du sentiment d’impuissance et de fatalité : si le matériel manque faute de budgets, c’est que le politique ne croit plus en la fonction régalienne policière, et cela génère une série de questionnements existentiels péjoratifs de la motivation et amenant une charge psycho-sociale supplémentaire (à lier avec le point 4.11.). Assez paradoxalement, le ceinturon s’est fortement alourdi au fil du temps (essentiellement par des éléments d’armement) à un point tel qu’un groupe de travail paritaire a été mis en place en vue de trouver des solutions … que le manque de moyen budgétaire ne permet pas de mettre en œuvre ;
w. Carence en personnel – Poussant ainsi à suggérer des services « solo » avec des risques évidents en matière de sécurité ;
4.8. Equilibre vie privée/vie professionnelle
x. Rappels réguliers (voir 4.2.) ;
y. Régulières remises en cause par la hiérarchie (voir 4.2., 4.4. & 4.7.) ;
z. Charge psycho-sociale constamment présente (voir 4.5.) ;
aa. Carence en personnel – La vie privée souffre, voire est envahie, par la vie professionnelle du fait des rappels, des prestations supplémentaires, des changements courants de service à la dernière minute, … ;
4.9. Participation des collègues
bb. Activités sociales internes à l’organisation quasiment à zéro depuis de nombreuses années. Et cela va bien plus loin que la construction d’un simple esprit d’équipe : il n’y a aucun endroit ni aucune occasion réellement et structurellement mis en place pour les policiers faire un échange d’expérience en matière de charge psycho-sociale (par exemple) ;
4.10. Rémunération
cc. Dès lors que tout le monde doit admettre qu'une rémunération à la hauteur de l'estimation de l'individu pour le travail qu'il preste avec tout ce que ce travail emporte, participe au bien-être au travail de cet individu (et c’est la raison d’être de ce point dans la méthodologie choisie par la KUL dans son étude « Qualité du travail et de l’emploi en Belgique », méthodologie qui est notre source d’inspiration pour ce chapitre 4., voyez notre note de bas de page 5.) ; et dès lors que tout le monde doit admettre maintenant que les échelles des policiers sont effectivement en-dessous des échelles-références de la Fonction publique ; et enfin, dès lors que cela fait dix ans que nous entendons nos collègues se plaindre de ce fait ; il faut admettre que cela pèse sur la charge psycho-sociale qu'ils portent et en conséquence, cela participe de la pénibilité du métier. En sus, la relation entre rémunération-dangerosité ne peut être écartée, non plus que la conséquence directe du déséquilibre constaté : une carence en recrutement qui participe plus encore à la carence en personnel … influençant directement les points 4.2. à 4.9. ;
4.11. Sécurité financière
dd. A mettre en rapport avec la logique du point 4.10. - Rémunération trop faible par rapport :
- Au danger encouru journellement ;
- Aux échelles équivalentes de la Fonction publique générant :
- Un sentiment d’abandon chez les policiers avec une augmentation inutile de la charge psycho-sociale ;
- Un déséquilibre qui freine les candidatures à l’emploi dans le métier, cela emportant une augmentation de la carence en personnel avec une augmentation de la pénibilité du métier ;
ee. Abandon régulier par réassureur (voir 4.2. et surtout 4.6.) – Ainsi, des collègues, victimes lourdes d’accident du travail, sont réellement mis sous pression par les réassureurs par la menace d’un blocage des remboursements jusqu’à consolidation s’il n’y a pas soumission à des contrôles médicaux supplémentaires sous l’égide de ce réassureur.
Toutes ces spécificités interviennent peu ou prou dans la vie de tous les policiers, partout en Belgique, tous les jours.
5. Aucun policier ne doit être exclu car tous sont sur un même pied
Pour bien appréhender le fait qu’aucun policier ne peut être exclu de la classification du métier de policier comme « métier lourd », deux exemples illustrent de manière suffisante les principes suivants : « policier un jour, policier toujours » ; « même en civil et encore plus en uniforme, le policier doit intervenir » :
- Hold-up en ville : tout le monde descend sur le terrain sur ordre avec tou(te)s le même risque, à savoir tomber sur les braqueurs et essuyer au minimum des coups, voire des tirs ;
- Retour à la maison de nuit, le collègue tombe sur un accident qui vient visiblement de se dérouler. Il doit intervenir SEUL sans pour autant avoir la certitude qu’il s’agit bien d’un accident, sans avoir la garantie que les parties en cause ne vont pas se retourner contre lui, …
Faire le choix de différencier les uns des autres sur base de la fonction influencerait directement le choix du membre du personnel entre la fonction A ou B, qui se fonderait, également, voire principalement, sur les répercussions de son calcul de pension. En d’autres termes, pourquoi faire le choix d’une fonction A pondérée à 1/60è, alors que la fonction B l’est à 1/50è (ou avantage similaire dans l’esprit) ? Aussi, on court le risque de voir des membres du personnel se maintenir/postuler dans des fonctions dites « préférentielles », bien que ne pouvant plus, raisonnablement, exercer pleinement la fonction.
Et au niveau de l’organisation, si l’option d’une pondération préférentielle par fonction devrait s’appliquer, les autorités locales et fédérales se trouveraient devant de nombreux défis :
- Comment attirer des membres du personnel vers ces fonctionnalités moins attrayantes, avec le risque de voir se vider de toute substance ces mêmes fonctionnalités ?
- Comment dès lors les assurer ?
- Comment éviter l’exode des membres de leur personnel au profit d’autres services (internes) ou d’autres zones ou entités fédérales (externes) et à contrario comment les retenir ?
- Comment éviter l’exode des petites zones de police au profit des grandes zones, offrant plus de fonctionnalités préférentielles (nombre d’emplois plus élevés) ?
Ceci remettrait donc en cause, purement et simplement, tous les principes de mobilité verticaux et horizontaux édictés à ce jour, réduirait considérablement l’attractivité de la profession, mettrait à mal les stratégies développées ces dernières années par les unités en matière de recrutement ainsi que l’outil GRH (quasi inexistant de surcroit).
Une pondération à géométrie variable n’offre dès lors QUE des inconvénients et ne pourrait plus garantir l’homogénéité de l’ensemble, aussi réduite soit-elle déjà aujourd’hui. Le maintien d’un seul et unique régime préférentiel s’impose donc.
6. La classification du métier de policier comme « métier lourd » nous paraît irrévocable
La classification du métier de policier comme « métier lourd » nous paraît irrévocable dès lors que les exigences de la fonction (nous vous renvoyons aux différents cadres normatifs en ce qui concerne les policiers : Loi sur la Fonction de Police, Loi Disciplinaire, Code Pénal, Code de déontologie, …) et les conditions contextuelles de mise en œuvre ne seront pas influencées positivement par la technologie et son progrès, ou d’autres éléments de contextes interne et/ou externe, bien au contraire.
En effet, la carence en personnel (de +/- 3.500 ETP actuellement) va s’accentuer encore et pourrait atteindre 5.400 ETP en 2019, malgré les efforts (tardifs) de ce gouvernement. Cette carence en personnel ne va évidemment pas permettre la moindre amélioration en termes d’OTT (4.2. supra) ni d’OT (4.3. supra). C’est le point le plus noir du tableau.
La technologie pourrait paraître être une source future de diminution de la pénibilité mais nous devons constater que toute entrée d’une nouvelle technologie dans la pratique policière depuis quinze ans est source de souffrance : dossier d’intégration de la technologie nouvelle mal étudié ; formation manquante ou défaillante ; …
Enfin, l’évolution de la société ne nous semble pas aller vers un apaisement et un vivre ensemble serein. Nous croyons donc fermement que le travail policier, au profit de cet acteur qu’est le citoyen et par le fait des agissements mêmes de ce citoyen, n’en sera que plus difficile et conflictuel dans le futur.
7. Une reconnaissance « métier lourd » pour la police ouvre sur une grande inconnue
Dans le rapport 331, on lit ce qui suit (et qui vient confirmer le point de vue porté par le rapport Vandenbroucke de manière beaucoup plus technique) :
« Différentes options pour compenser la pénibilité, qui demeurent ouvertes, ont été évoquées par les membres de la Commission :
- Permettre aux personnes concernées une anticipation du départ en pension sans être pénalisées dans leurs droits
et / ou
- Une valorisation du montant de la pension. ».
Pour les quatre organisations syndicales du secteur policier, il ne peut être question d’une telle simplicité : vu la dangerosité et vu les spécificités du métier de policier faisant la pénibilité de ce métier, les conséquences d’une reconnaissance « métier lourd » doivent être plus favorables. Le « et/ou » a une énorme importance pour les policiers.
8. Qu’en est-il de la fin de carrière prématurée ?
Même si le sujet ne fait pas partie stricto sensu du mandat du CNP, il est nécessaire d'évoquer la question des fins prématurées de carrière des policiers.
Dès lors que la dangerosité réelle de la profession est admise par les membres du CNP, il faut en parler : convaincu de la dangerosité du métier, on ne peut prendre pour acquise la suppression des pensions pour inaptitude physique. C’est d’autant plus une évidence qu’il n’y a pas (ou très très peu) d’emplois « adaptés » pour les policiers ayant eu un accident du travail avec conséquence sur l’aptitude (voyez le point 4.3.i.).
Le maintien du cadre actuel doit donc être maintenu impérativement et cela doit faire partie des recommandations des membres du CNP au gouvernement.
9. Conclusion
Ainsi, il nous apparaît démontré que le métier de policier doit être repris comme « métier lourd et pénible » aux raisons qu’il s’agit :
- D’un métier dangereux, et cela répond au critère 3 approuvé par toutes les parties ;
- D’un métier spécifique en maints aspects emportant pour bon nombre une pénibilité très lourde, et cela répond aux critères 1, 2 et 4.
Il nous paraît aussi démontré qu’aucun policier ne doit être exclu de cette reconnaissance d’une part parce que ce serait une iniquité en regard de la réalité fonctionnelle journalière (et du danger qu’elle emporte chaque jour pour chacun(e)) ; mais d’autre part parce que ce serait totalement contre-productif en termes de gestion des ressources humaines.
Il nous paraît aussi démontré que cette reconnaissance en « métier lourd » serait irrévocable par la seule évolution de la société qui ne nous paraît pas aller vers un vivre ensemble plus serein demain qu’hier, même si c’est notre souhait le plus ardent.
Il nous paraît qu’il faut lever le plus vite possible l’inconnue sur les conséquences d’une telle reconnaissance, étant entendu qu’en ce qui concerne les organisations signataires du présent, ces conséquences doivent emprunter une troisième voie plus favorable que les deux voies mentionnées dans sa proposition « pension à points » par la Commission « Réforme des pensions 2020-2040 ».
Enfin, il nous paraît essentiel que le volet « pension par inaptitude physique » doive être conservé dans son entièreté, et qu’il soit ainsi conseillé au gouvernement de ne pas procéder à la suppression évoquée.
Il nous semblait important de développer en détail les motifs et le raisonnement qui nous poussent à souligner ce que nous lisons dans le Rapport au Roi de l’arrêté royal du 9 novembre 2015 portant dispositions relatives au régime de fin de carrière pour des membres du personnel du cadre opérationnel et faisant suite à l’arrêt 103/2014 du 7/07/2014 de la Cour Constitutionnelle. Rappelons que cet Arrêt valut aux policiers leur sortie de l’article 88, alinéa 2, de la loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses, modifié par l’article 3 de la loi du 13 décembre 2012 portant diverses dispositions modificatives relatives aux pensions du secteur public, les mots
« pour la police intégrée », signifiant dès lors exclusion de la dispense en matière de règles générales portant sur les pensions :
« (…) L’autorité a finalement développé un régime réglementaire reposant sur le caractère volontaire et sur un critère d’âge. Eu égard à l’avis du Conseil d’Etat, l’article XII.XIII.1. PJPol a été clarifié et le deuxième critère relatif à la durée de carrière n’a plus été maintenu. En plus, la réglementation conçue tient également compte du caractère spécifique du métier de policier. Les circonstances dans lesquelles les policiers doivent œuvrer sont en tous temps potentiellement dangereuses voire extrêmement dangereuses. La charge psycho-sociale, le stress permanent, les exigences physiques imposées ainsi que l’absolue disponibilité, jours et nuits, telle que visée aux articles 125 et 126 de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, en font un métier sécuritaire spécifique. Dans certains cas la police constitue le dernier garant, parfois même substitutif aux autres services, pour l’autorité pour assurer l’ordre public. En tant qu’émanation de la force publique, les policiers sont en plus les cibles privilégiées de ceux qui, pour quelque raison que ce soit, tentent à déstabiliser la société.(…). ».
Au final et pour toute conclusion, nous attirons l’attention du Comité, qu’à de nombreuses reprises lors des (difficiles) négociations sectorielles 2014-2015 sur notre nouveau régime des pensions, le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Jan Jambon lui-même, a indiqué avec force que le métier de policier, dans sa globalité, doit être reconnu comme « métier lourd » (« Même l’agent de quartier de Brasschat », dixit le Ministre) et qu’il s’y engageait, ce qui nous paraît être un engagement ferme qu’il faudra respecter.
1 Chiffres 2011 sur http://www.faofat.fgov.be/site_fr/stats_etudes/rapport_stat/documents/Rapportsecteurpublic2011annexesFR.mht
2 Chiffres 2011 du service Safety-AT de la police fédérale
3 Chiffres 2011 suite à l’analyse du phénomène commandité par Mme Milquet
4 Chiffres 2013 suite sondage vers 5.000 policiers de terrain dans le cadre de l’analyse du phénomène susmentionnée
5 Pour la structure de ce point 4., notre source d’inspiration est « Qualité du travail & de l’emploi en Belgique » KULeuven/SPF Emploi/EuroFound - février 2013
6 Circulaire ministérielle CP1 du 27 mai 2003 définissant le concept de « community policing », et circulaire ministérielle CP 2 du 03 novembre 2004 visant à encourager le développement organisationnel de la police locale axée sur la police de proximité
7 Dérogation qui est maintenant totale par decision du ministre de l’Intérieur et du fait du phénomène de terrorisme : aucune date de fin à cette dérogation n’est prévue !
8 Rapport du Comité P anno ? “suicides à la police”
9 Arrêté royal du 10 avril 2014 relatif à la prévention des risques psychosociaux au travail
10 http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/population/deces_mort_esp_vie/tables/
11 Revue médicale Bruxelles 2009